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Huile de vidange recyclage : vers une filière plus durable et réglementée

Huile de vidange recyclage : vers une filière plus durable et réglementée

Huile de vidange recyclage : vers une filière plus durable et réglementée

Une huile usée pas si anodine

Un matin, lors d’une visite dans un petit garage associatif de l’Yonne, Jacques — le responsable des lieux, la cinquantaine et les mains aussi marquées que le cuir de son tablier — m’a lancé, presque excédé : « Tu sais, on fait plus attention à trier ses yaourts que nos huiles de vidange ! ». Et il n’a pas tort.

Chaque année en France, plus de 200 000 tonnes d’huiles de vidange usagées sont produites, que ce soit par les particuliers lors d’une vidange DIY dominicale ou par des professionnels de l’entretien automobile. Or, ces huiles usées sont extrêmement polluantes. Un seul litre suffit à contaminer 1 million de litres d’eau. Oui, un litre… un seul.

Mais alors, face à cette bombe écologique qui échappe encore en partie aux radars, où en est-on dans la structuration d’une filière durable et réglementée ? Spoiler alert : les choses bougent, et on est peut-être à l’aube d’un changement de paradigme… enfin, si tout le monde joue le jeu.

Qu’est-ce qu’une huile de vidange usagée ?

Remontons un peu en amont. L’huile moteur — qu’elle soit minérale, synthétique ou semi-synthétique — assure une mission ingrate mais cruciale : lubrifier, refroidir, protéger contre la corrosion et nettoyer le moteur. Petit à petit, au fil des kilomètres, elle se charge en particules métalliques, en produits de combustion, en eau, en suie et en additifs dégradés.

Après quelques milliers de kilomètres, elle est donc « usagée » mais pas inoffensive. Incorrectement éliminée, elle devient un déchet extrêmement toxique. D’où l’enjeu : récupérer ces huiles correctement et les valoriser au lieu de les disperser dans la nature.

Un cadre réglementaire qui se durcit (enfin !)

Depuis les années 2000, les directives européennes comme la directive 2008/98/CE imposent aux États membres une hiérarchie dans la gestion des déchets, où la régénération des huiles usagées doit primer sur l’incinération. En France, le Code de l’environnement exige aujourd’hui que toute huile collectée soit envoyée vers une filière autorisée.

Et avec la récente mise en place de la REP (Responsabilité Élargie des Producteurs) pour les lubrifiants en janvier 2022, les producteurs sont désormais responsables du devenir de leurs huiles. Autrement dit : fini le dumping environnemental — du moins, sur le papier.

Mais dans les faits, seulement 50 à 60 % des huiles usagées sont effectivement collectées dans de bonnes conditions. Le reste ? Il se perd dans la nature, brûlé illégalement ou utilisé comme substitut de fioul dans des pratiques pour le moins douteuses.

Deux grandes voies pour traiter ces huiles : incinération ou régénération

Il existe deux grandes options pour le traitement des huiles usagées :

Problème : en France, la majorité des volumes récupérés part encore à l’incinération. Pourquoi ? Tout simplement parce que régénérer coûte plus cher, nécessite des usines spécialisées, et qu’il faut s’assurer d’une bonne qualité des huiles collectées (sans eau ni solvants).

Des acteurs de terrain qui innovent

À quelques kilomètres d’Agen, j’ai rencontré Léna, ingénieure fraîchement reconvertie dans l’économie circulaire. Avec sa coopérative baptisée LoopLub, ils ont voulu casser les codes : « On travaille uniquement avec des garages qui s’engagent, on leur fournit des contenants sécurisés, et on collecte des lots homogènes pour assurer une régénération optimale ».

Leur secret ? Un traçage millimétré et un partenariat avec une raffinerie régénérative en Seine-et-Marne capable de retraiter jusqu’à 30 000 tonnes par an – en mode zéro déchet.

Et ça marche : depuis deux ans, LoopLub a déjà collecté et régénéré plus de 1 200 tonnes d’huile, soit l’équivalent de 60 semi-remorques évités en incinération. « On a aussi baissé de 20 % l’usage d’huiles vierges chez nos partenaires pros », me glisse Léna avec une fierté non dissimulée.

Comme quoi, les solutions locales existent. Encore faut-il qu’elles soient soutenues, et intégrées dans un maillage national cohérent.

Le rôle (culpabilisant mais crucial) des particuliers

On nous parle des industriels, des garages… mais nous, simples mortels qui faisons nos vidanges dans notre garage, que peut-on faire ? Déjà, ne jamais jeter son huile dans les canalisations ou dans la nature. Cela semble évident, mais un rapide sondage réalisé par l’ADEME en 2021 montre que 1 usager sur 3 ne sait pas quoi faire de son huile usée.

Alors, concrètement :

Vers une filière plus durable ?

En juin 2023, l’État a mis en consultation publique un projet de décret visant à renforcer les obligations de régénération. Parmi les pistes évoquées :

On sent pointer une volonté politique — chose rare dans le secteur. Et au vu des pressions européennes, il y a fort à parier que la France devra accélérer. Cela pourrait aussi créer de l’emploi local, réduire notre dépendance aux carburants fossiles et amorcer une vraie circularité autour des produits pétroliers.

Demain, une huile recyclable dès la fabrication ?

Car soyons honnêtes : si on veut aller plus loin, il faut repousser le problème en amont. Et pourquoi pas imaginer des huiles moteur conçues pour être plus facilement régénérées ? C’est le pari un peu fou que s’est lancé un centre de recherche à Grenoble, avec des formulations plus simples chimiquement, et des additifs « épurables ».

Comme me l’a dit Sandrine, chercheuse moustachue et espiègle que j’ai croisée là-bas : « On essaye de faire un lubrifiant aussi recyclable qu’un bocal en verre. C’est pas pour demain, mais c’est plus que des mots ».

En attendant, chaque litre compte

L’huile de vidange ne fait pas vibrer les foules. Elle est grasse, opaque, invisible dans le débat public. Pourtant, elle cristallise à elle seule les grandes tensions de la transition : comment concilier usage technologique et préservation environnementale ? Comment valoriser un résidu industriel en ressource ?

Alors non, cet article ne transformera pas la prochaine vidange de votre Clio en acte militant. Mais si vous déposez cette huile dans un bon conteneur, et que vous sensibilisez vos proches, vous êtes un maillon (gras mais utile) d’une chaîne bien plus large.

Et peut-être qu’un jour, l’un de vos litres usagés redeviendra un lubrifiant haute performance, utilisé dans une éolienne… ou pourquoi pas dans le moteur d’une voiture électrique qui accepte encore les beaux paradoxes.

Oui, ça a presque l’air poétique. Et parfois, ça suffit à changer un peu le monde.

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